Bases Fondamentales Casseroles et autres Marmites en cuivre

 

19 novembre 2020,

 

Pour apprécier pleinement l'histoire des anciens pots en cuivre culinaires, il ne faut regarder, ni avec des yeux, ni avec des idées trop modernes.

 

Un exemple de ce que j'appelle "moderne" : 

Aujourd'hui, vous gagnez au loto 1 000 000 d'euros et comme vous êtes un grand passionné de pot en cuivre culinaires, vous décidez de devenir fournisseur.

A qui vous adressez-vous pour faire fabriquer vos pots ?

Vous aurez le choix entre MAUVIEL, BCC, SOY, ECT, DE BUYER, etc... Il suffit de leur demander !

Et même si parmi ces fabricants, certains ne travaillent que pour eux-mêmes, ils vous diront peut-être oui !

 

Vous aurez à faire à un seul intermédiaire, votre fournisseur/fabricant.

 

Il se chargera de fabriquer les pots, de monter les poignées, de faire l'étamage et le polissage. Il estampillera aussi les pots avec votre nom dessus. Le service est complet.

 

Voilà, les 3 ou 4 phrases ci-dessus résument ce qu'il faut faire pour devenir fournisseur de pots en cuivre de nos jours. Rien de plus, vous avouerez que c'est très simple et très moderne.

 

Dans 100 ans, si quelqu'un fait une recherche, il trouvera presque à coup sûr de quelle fabrication il s'agit.

Vous ne sortirez jamais de ce circuit, ni de cette relation unique et même si c'était le cas en changeant de fournisseur, il y aurait toujours seulement vous et votre fournisseur.

Un seul type de fabrication, sorti des mêmes ateliers, fait par les mêmes machines et hommes.

Tout est bien structuré, bien planifié. Il n'est plus nécessaire depuis longtemps de chercher de nouvelles technologies, les pots en cuivre étamés se font de la même façon (ou presque) depuis des décennies.

Si on prend l'exemple de la maison Mauviel, elle a fourni tellement de grossistes et revendeurs depuis les années 1960 à nos jours, qu'on pense que c'est comme ça depuis toujours !

 

Voilà donc l'image "moderne" que la plupart des gens ont à l'esprit :

1 (vous) + 1 (votre fournisseur) = 2.

Et malheureusement, cette image reste dans beaucoup trop d'esprits quand ils regardent dans le passé.

 

Il faut absolument que certaines choses soient bien comprises par tous les passionnés de cuivres culinaires anciens.

Quand on regarde les pots en cuivre anciens, il faut le faire avec un autre regard, d'autres idées.

En quelque sorte :

1 + 1 = 2, 3, 4, 5, 6...

Oui, je sais, c’est étrange, mais vous allez comprendre en continuant votre lecture.

 

Voici donc, quelques notions de bases qu'il faut retenir pour ne pas se perdre, dans notre passion, sur des chemins tortueux.

Je vous donne les premières choses qui me viennent à l'esprit et bien évidemment, il y en a d'autres que j'ajouterai si le besoin s'en faisait sentir.

Vous allez voir que les choses n'ont rien de simple.

Définir qui a fait quoi, quand, comment, devient une question très compliquée.

 

Autrefois, il y avait beaucoup de fabricants comme Mauviel.

Donc, oublions Mauviel pour le moment et imaginons simplement Villedieu et Paris en 1900.

 

Vous devez absolument imaginer le travail ne se fait pas en 1 + 1 = 2.

C'est une chose primordiale !

C’était comme prendre toutes les étapes et les types de fabrications pour les mélanger comme on mouline une soupe !

 

C'est parti pour un petit tour en 1900 !

1 - Le fabricant Parisien peut fabriquer, à Paris, une partie de sa gamme et à Villedieu, une autre partie de sa gamme de produits.

2 - Villedieu fabrique des pots bruts et envoi à Paris. Pas d'étamage, pas de poignées, pas de martelage, pas d’estampillage.

3 - Villedieu fabrique des pots complètements finis avec estampillage et envoi à Paris.

4 - Villedieu fabrique des pots complétement finis sans estampillages et envoi à Paris.

5 - Villedieu fabrique dans à peu près 50 ateliers qui occupe 250 chaudronniers. 150 autres chaudronniers travaillent chez eux pour leur compte ou le compte d'un patron. En général, ces chaudronniers à domicile ne font qu'un type de fabrication. Par exemple, seulement des casseroles ou des marmites ou des poissonnières, etc...

6 - Villedieu peut recevoir une commande de Paris qui ne sera pas à livrer à Paris, mais par exemple en Bretagne, en Angleterre, aux USA, etc... Dans ce cas, inutile de renvoyer le matériel à Paris, c'est plus économique de l'envoyer directement à la destination finale. Voilà pourquoi Villedieu possède des estampillages de grossistes ou revendeurs parisiens. Ces estampillages peuvent être anciens et ne plus correspondre à ceux de Paris. Mais ce n'est pas grave tant que le fabricant ou magasin de Paris n'a pas changé d'adresse. Et c’est encore moins grave si l’estampillage ne contient pas l’adresse ! Un fournisseur de Villedieu peut donc appliquer un estampillage que le fabricant Parisien n'utilise plus depuis 30 ans !

7 - Un fabricant de Villedieu peut faire exécuter un type de martelage par un de ses marteleurs pour un fabricant parisien et un autre type de martelage par un autre marteleur pour un autre fabricant parisien. Et puis, un des 2 marteleurs peut mourir, prendre sa retraite, déménager, changer de métier. Alors le même marteleur fera le même martelage pour les 2 fabricants parisien. Et puis un nouveau marteleur viendra remplacer celui qui manque, ce qui donnera un 3eme type de martelage, donc 2 différents pour un des 2 fabricants parisiens. Et ainsi de suite...

8 - Un fabricant de Villedieu ou Paris peut avoir une équipe de chaudronniers qui travaillent sur des pots en cuivre en une seule pièce, fabriqués en série par emboutissage. Ce même fabricant, au même moment, peut avoir des travailleurs indépendants qui travaillent pour lui. En fabriquant des pots en cuivre entièrement à la main, en plusieurs parties et montés en "queue d'aronde". Ce qui veut dire que ce fabricant fournit au même moment des pots "modernes" et des pots "anciens".

Je précise au passage que le petit poinçon qu'on voit souvent au milieu et au fond des casseroles n'est pas du tout, contrairement à ce que beaucoup croient, toujours un signe de fabrication entièrement fait à la main. C’est soit une fabrication de l’homme, aidé par les machines, soit une fabrication des machines, aidées par l’homme. Les seuls pots en cuivre qu’on peut considérer fait à la main, sont ceux en « queue d’aronde, je rappelle que je parle ici de 1900. Évidement, si on remonte plus loin dans le temps, un véritable travail au marteau, à la main, est celui qui permet de réaliser un pot avec une seule feuille de cuivre ! En 1900, il existe encore des artisans qui travaillent de cette façon, mais ce travail n'est pas le plus représentatif de la production totale ! On voit souvent l’indication « fabrication au marteau », véritable pot fait main pour un pot fait par une machine ou une machine et l’homme !

Toute la subtilité de la chose se trouve dans une phrase d’un catalogue des Grands Magasins du Louvre :

« Toutes nos casseroles et sauteuses sont martelées à la main, nous ne vendons pas les casseroles faites à la mécanique qui sont d'un mauvais usage. »

Dans la première partie de la phrase ils parlent de martelage.

Dans la seconde partie de la phrase ils parlent de casseroles faites mécaniquement en disant que ce n’est pas du bon matériel.

Une subtile annonce qui fait penser que toutes leurs casseroles sont fabriquées à la main ! Au marteau, à l’ancienne. Signe de qualité, de personnalisation, d’objet unique.

On induit l’acheteur en erreur en le faisant passer d’un sujet à l’autre dans une même phrase ! En lui faisant croire que sa casserole est faite entièrement à la main. En réalité, il s’agit du martelage qui est fait à la main.

9 - Le fabricant de Villedieu ou Paris peut effectuer 3 grands types de fabrications pour donner sa forme à une casserole. Celle entièrement (ou presque) mécanique, celle mécanique et manuel (ou l’inverse), celle entièrement manuelle. Je ne rentre pas ici dans les détails du travail mécanique-manuel ou manuel-mécanique car c’est un sujet plutôt compliqué à expliquer. Comprenez simplement qu’il s’agit d’une fabrication qui ne peut pas se faire sans un travail fournit par l’homme et la machine. Avec des méthodes qui demandent soit plus de travail par l’homme soit plus de travail par la machine. En quelque sorte, le chaudronnier peut donner une première forme à son pot par emboutissage avec une machine, puis le repasser au feu pour lui redonner de la malléabilité. Ensuite le pot passe dans une seconde machine pour donner de la profondeur, etc… Ceci me fait penser à une autre idée reçue, un pot qui possède une paroi plus fine en haut et plus épaisse en descendant ainsi qu’au fond est automatiquement un pot fait au marteau. FAUX ! C’est un pot fait par des machines.

10 – Donc, le fabricant de Villedieu ou Paris peut fabriquer des pots très inégale en épaisseur. Je parle d'un même pot, selon l'endroit où on mesure. Et encore une fois, contrairement à ce qu'on peut croire, ce n'est pas un signe de fabrication manuelle.

11 - Villedieu ou Paris peuvent estampiller une quantité de pots qui finalement n'est pas livrée à son destinataire initial. Peu importe la raison. Elles peuvent être si nombreuses ces raisons ! Dans ce cas, on peut revendre ce stock à un autre grossiste ou revendeur, à prix plus bas. Et bien sur, estampiller le nouveau nom par-dessus le premier. En général ce matériel n'est pas vendu en boutique et ce n'est pas obligatoire de le présenter au public. Il peut être vendu comme déclassé, promotion, dans des restaurants ou autres grandes administrations que le fabricant connait personnellement, etc...

12 - Quasiment tous les chaudronniers, avec en première ligne les maisons DEHILLERIN, GAILLARD, LEGRY, JACQUOTOT, etc... proposent la reprise d'anciennes batteries de cuisine. Peu importe la provenance. Rien n'empêche ces chaudronniers d'estampiller leur nom par-dessus un estampillage déjà présent. Rien ne les empêche d'estampiller des pots qui n'avaient pas d'estampillage. L’argument sera, au moment de la revente, « nous avons remit ce pot à neuf, n’hésitez pas à demander nos services pour de futurs étamages ou réparations. »

13 - Paris reçoit les pots bruts et se charge de monter les poignées, de faire l'étamage, le martelage, l'estampillage.

14 - Paris reçoit les pots finis et peut les vendre immédiatement.

15 - Paris reçoit les pots finis sans estampillages, le grossiste ou le revendeur pose les estampillages pour lui-même ou pour d'autres.

16 - Paris envoi des pots bruts à Villedieu qui va faire le montage des poignées, l'étamage, le martelage et renvoyer le matériel à Paris ensuite.

17 - Le fabricant parisien peut avoir plusieurs gammes pour un même produit. Par exemple les casseroles ordinaires de 1.5mm, fabriquées à Paris dans ses ateliers. Les casseroles ordinaires de 2mm, fabriquées à Paris dans un autre de ses ateliers. Les casseroles ordinaires extra-forte et martelées, fabriquées à Villedieu. Les casseroles ordinaires sur-extra-forte avec "queue d’aronde", fabriquées par un autre fabricant de Villedieu. Et oui ! A une époque où le travail en "queue d’aronde" fait déjà partie du passé, certains clients veulent absolument et uniquement ce type de pots en cuivre ! Ce qui peut faire une quantité incroyable de fabrications différentes et aussi d’estampillages différents !

- 18 Les guerres, les crises économiques, les ruptures de stocks, l'inflation sur le cuivre, la faillite d'un associé fabricant, l'arrêt temporaire du travail d'un associé fabricant, la baisse de qualité des matières premières, la provenance des matières premières, le changement d'ouvriers spécialisés (décès, retraites, service militaire, etc...), sont autant d'éléments qui vont opérés des changements dans la fabrication des pots en cuivre.

Dans un autre sens, il y a des périodes ou la demande augmente subitement. Et là, il faut faire appel, temporairement, à d'autres fabricants et partenaires !!!

Que ce soit en périodes de récession ou de reprise, rien n'empêche un fabricant d'acheter des stocks d'anciens pots. Beaucoup de fabricants ont dû fermer leur entreprise. Des milliers de pots en cuivre ont été achetés par d'autres. Il ne restait plus qu'à les estampiller ! 

Il est même certain que des fabricants qui ont fait faillite avait d'avance dans leurs stocks des pots déjà estampillés pour leurs clients réguliers. Une raison de plus pour estampiller par-dessus après rachat de ces stocks.

En résumé, il ne faut pas, pour cette époque, isoler chaque fabricant avec sa fabrication unique, son estampillage unique, son style unique. Il ne faut pas l'imaginer travaillant seul dans son usine ou son atelier.

Il faut presque regarder ceci comme un incroyable mélange de beaucoup de monde qui travaille avec tout un ensemble de partenaires. D'une multitude de façon différentes.

Il y a tellement de raisons à ceci et à cela à cette époque qu'il est difficile aujourd'hui, dans nos esprits, de définir parfaitement comment tout ceci fonctionnait.

De nos jours, c'est bien plus simple mais aussi beaucoup moins magique !

- On peut définir l'époque d'un pot en cuivre de la maison DEHILLERIN estampillé 1 rue Montmartre.

- On peut définir l'époque d'un pot de la maison PERSONNE car on sait à quelle date elle a cessé ses activités.

- Mais comment définir l'époque d'un pot estampillé avec le "Coq" ? D'abord créé et utilisé par la maison CHARMOIS (1871-1888), puis reprit par la maison J. LASNIER (1888-1907), puis repris par la maison DEHILLERIN qui a peut-être continué encore un peu à l'utiliser après la reprise en 1907 ?

- Comment définir l'époque d'un pot GAILLARD ? En posant une sauteuse évasée faites d'une seule pièce à côté d'une autre faites en "queue d'aronde", à coup sûr,  tout le monde vous dira que celle en "queue d'aronde" est beaucoup plus ancienne ! FAUX !

Comme expliqué plus haut, celle faite d'une seule pièce de cuivre pourra très bien être fabriquée en 1910 à Paris avec un estampillage oval contenant "J. E. GAILLARD" tandis que celle en "queue d'aronde" aura été faites en 1912 à Villedieu avec un estampillage "J & E GAILLARD".

Voilà toute la difficulté de ce sujet.

La période de 1900 à 1940 n'est faite que de toutes ces choses difficilement imaginables aujourd'hui ! Elle est la plus belle période des pots en cuivre culinaires. Les meilleurs pots qui aient jamais été fabriqués dans le monde !

Essayer de définir précisément qui a fait quoi, quand, comment, avant 1940 est une chose qu'on aimerait faire. Mais malheureusement, impossible ou presque.

On dit souvent : "Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?".

Mais ceci ne concerne pas du tout ce que vous venez de lire car c'est compliqué et rien ne pourra jamais faire en sorte que cette période soit simple.

Il faut faire l'effort d'essayer d'assimiler, de comprendre et de réaliser que tout ceci participe à la magie qui vient de ces pots en cuivre.

On entend souvent les gens dire qu'ils aiment les anciens pots en cuivre car ils leur parlent !

Et si on leur demande : "Ils vous parle de quoi ?", la réponse est souvent assez vague.

Tout simplement parce que les gens sentent que quelque chose émane de ces pots, mais ils ne savent pas quoi ! Une espèce de feeling entre le propriétaire et son pot en cuivre qui n'est pas définissable si on ne connait pas un peu l'histoire.

 

Et en vérité, ce sont toutes ces choses que vous venez de lire qui sont imprégnées dans ces anciens pots. Vous savez inconsciemment qu'il y a tant d'histoires dans leur passé.

 

J'espère que ces quelques lignes vous aideront à apprécier encore plus vos pots en cuivre culinaires !

 

A tous les Amoureux des Cuivres Culinaires !

Cordialement, T.J.